Les villes se devant aujourd’hui de faire face aux effets du changement climatique, le ressort de leur survie implique l’élaboration de différentes mesures de lutte dans divers domaines pour des réponses urbaines adaptées. Au-delà de mesures ponctuelles qu’il faut adopter, des stratégies de résilience sont mises en œuvre combinant robustesse (constance et résistance face aux évolutions) et adaptation (capacité à accepter le changement). Ces mesures générales sont développées à l’échelle planétaire pour amener les villes à faire face de façon commune aux effets du changement climatique qui restent des problèmes communs. Chaque ville, étant unique en son genre, devra ensuite développer à l’échelle locale ses propres solutions.
Les concepts de résilience et d’adaptabilité face aux effets de changement climatique deviennent donc désormais des impératifs à prendre en compte dans le développement des projets urbains à l’échelle de la ville. La notion de résilience est selon des universitaires américains, la capacité d’un système social (par exemple une organisation, une ville ou une société) de s’adapter de manière proactive et de se remettre de perturbations perçues, au sein du système, comme non ordinaires et non attendues (Laugier, 2013). Pour la Banque mondiale (2016), une ville capable de s’adapter est une ville prête à affronter les impacts climatiques existants et futurs et, par conséquent, à limiter leur ampleur et leur gravité. Plusieurs villes sont déjà engagées dans des politiques de résilience et d’adaptation au changement climatique en axant leur stratégie de développement local autour du développement d’infrastructures, d’efficacité énergétique dans les bâtiments, de lutte contre les îlots de chaleur…
Ces nombreuses villes à travers le globe ont pris l’initiative de s’engager dans la lutte contre le changement climatique à leur propre échelle, sans dépendre de l’approbation des lois par les dirigeants ou de la ratification d’accord internationaux. Pour certaines, ce sont des mesures ou des projets développés à la suite d’une catastrophe climatique survenue pour mieux préparer la ville à vivre dans le futur de tels évènements. Un exemple significatif dans cette perspective est New-York. Suite à la dévastation causée par l’ouragan Sandy, plusieurs projets urbains axés sur la résilience ont été mis en place pour faire face à de futurs événements similaires. Parmi ceux-ci, le projet ‘’Big U’’ s’est dévoilé en proposant la construction d’une barrière de protection dans le Sud de la ville, englobant la presqu’ile de Manhattan, dans le but de prévenir de nouvelles inondations. En parallèle, les rives de l’Hudson et de l’East River se transformeraient en espaces de vie et de loisirs.
Mais, comme le fait remarquer Van Gameren et al. (2014d), nous devons comprendre l’adaptation-résilience comme une stratégie de gestion de risque climatique. Sur ce, il faut s’attendre à ce que cette stratégie devienne un jour ou l’autre caduque et dépassée. Déjà, il semble selon les dernières projections que les mesures actuelles d’adaptation-résilience des villes face aux effets du changement climatique soient un peu limites et présenteront des déficits à protéger le cadre de vie des générations futures dans ce siècle ou celui à venir (Pelling, 2011 ; IPCC, 2012 ; Van Gameren et al., 2014f ; IPCC, 2021). L’exposition et la vulnérabilité de la planète implique la légitimité de se poser cette question : Où et comment vivra l’humanité en sécurité dans les siècles à venir ? La question posée amorce une transition vers une adaptation-transformation qui sera plus radicale, avec des mesures ayant un impact considérable sur la même pratique de l’urbanisme au cours de cette décennie et des suivantes. Cette adaptation-transformation s’inscrit dans une approche proactive, exigeant une planification prospective, contrairement à l’adaptation-résilience qui adopte une approche réactive face aux effets actuels connus du changement climatique.
Mais face à l’incertitude même des effets du changement climatique aussi bien dans leur ampleur que dans leur nature, l’anticipation des scénarios plus pessimistes devient un impératif. Dans ce contexte, en raison de l’avancement technologique observé dans le monde moderne, qui se traduit notamment par une amélioration des services de santé, nous sommes témoins d’une croissance démographique soutenue, entraînant chaque année un besoin accru de nouveaux espaces résidentiels (Fagla, 2016). Cependant, la répartition des terres à la surface est extrêmement déséquilibrée : environ 70,8 % sont couvertes par les océans, tandis que seulement 29,2% (soit 148 940 millions de Km² ou 14 900 millions d’hectares) sont constituées de terres émergées, d’où son surnom évocateur de ‘’planète bleue’’. Si nous entreprenons un calcul approfondi, sur ces 29,2% de terres émergées disponibles, seulement 26,3% sont réellement habitables, si l’on exclut les 1 700 à 1 800 millions d’hectares recouverts par les forêts tropicales, les réserves animalières, les parcs, les déserts inhabitables, et ainsi de suite. Cette petite proportion habitable de la surface terrestre est aujourd’hui partagée entre environ 7,7 voire 8 milliards d’être humains, avec une moyenne d’environ 1,7 hectares de terres plus ou moins fertiles par personne. De plus, cette moyenne tend à diminuer progressivement avec l’augmentation de la population au fil du temps.
Ce calcul mathématique, connu sous le nom d’empreinte écologique maximale (terrestre), ne reflète pas nécessairement la réalité de l’occupation spatiale actuelle (telles que les zones accidentées, les zones de conflit, les zones radioactives, les cours d’eau, les lacs, etc.) ni la répartition réelle des zones habitables à travers le globe. De plus, il ne tient pas compte de la principale tendance majeure identifiée par Fagla (2016) qui influence la disponibilité effective des surfaces pour l’humanité. Le principal enjeu réside dans le risque croissant de submersion marine qui menace particulièrement les villes côtières, ainsi que la planète dans son ensemble. Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que nous sommes confrontés à un défi climatique majeur. En raison de l’activité humaine croissante, le climat continuera de se réchauffer. Par conséquent, chaque degré supplémentaire entraînera la fonte des calottes glaciaires. Suivant le célèbre principe d’Archimède et contrairement aux idées répandues reçues, la fonte de la banquise Arctique qui flottent déjà ne changera rien à la montée des eaux (International Polar Foundation, 2003), tout comme un glaçon fondant dans un verre de whisky ne fait pas monter le niveau de celui-ci.
Par contre, il existe sur notre planète deux grands réservoirs de glaces qui ne sont pas sur l’eau et dont la fonte va engendrer un transfert de leur volume vers les océans, entrainant leur montée drastique. Il s’agit des calottes polaires de l’Antarctique et du Groenland d’une part et des glaciers continentaux d’autre part qui sont des concentrés d’eau douce. Selon le CNRS, on estime à près de 30 millions de km3 de volume de glace stockés uniquement sur le continent Antarctique et à 2,5 millions de km3 au Groenland. A cela, nous pouvons ajouter la probable fonte des glaciers des montagnes dont le volume est estimé à 0,2 millions de km3 ou de l’eau gelée dans le sol de la toundra arctique (le pergélisol ou permafrost). La fonte totale de l’Antarctique équivaudrait à une hausse du niveau de la mer de l’ordre de 60 mètres auxquels il faudrait ajouter la fonte du Groenland, de l’ordre de 7 mètres de plus. Une autre raison de la montée des océans, qui n’a rien à voir avec la fonte des glaces est la dilatation de l’eau sous l’effet de la température. L’incertitude étant de plusieurs mètres, les experts estiment une augmentation de 70 à 76m du niveau des océans dans l’absolue combinaison pessimiste de tous ces scénarii catastrophiques.
Fort heureusement, nous sommes peut-être encore loin de cette situation extrême. Cependant, selon l’IPCC (2018), dans les scénarios les plus graves, qui sont tout à fait plausibles étant donné les tendances récentes des émissions de gaz à effet de serre (GES), la température moyenne de l’atmosphère terrestre pourrait augmenter de 5,5°C d’ici 2100. Cela entraînerait en conséquence du réchauffement, la fonte d’un volume de calottes polaires équivalent à 2,5×1014 m3, qui se déverseraient dans les océans. Dans ce cas, le niveau des océans continuerait d’augmenter, et par conséquent, la superficie habitable par habitant diminuerait inévitablement. Selon les estimations les plus optimistes de l’IPCC (2021, 2022a), le niveau des océans pourrait s’élever de 40 à 90 cm au cours de ce siècle. Les récentes études de la Banque Mondiale révèlent que le changement climatique pourrait contraindre 216 millions de personnes à se déplacer à l’intérieur de leur propre pays d’ici 2050. Des migrations climatiques commenceront à se produire dès 2030, et ce phénomène s’étendra et s’intensifiera par la suite, créant ainsi une crise migratoire d’ampleur considérable.
De plus, la communauté scientifique internationale estime de manière préoccupante qu’une augmentation supplémentaire de 1°C de la température entraînerait une élévation du niveau de la mer d’environ 1 mètre. Cette élévation de 1 mètre aurait des conséquences importantes, avec une perte de terres émergées d’environ 0,05% en Uruguay, 1% en Égypte, 6% aux Pays-Bas, 17,5% au Bangladesh et jusqu’à environ 80% dans l’atoll de Majuro en Océanie (îles Marshall, Kiribati et progressivement les Maldives). La ville de Bangkok pourrait déjà connaître des inondations touchant environ 40% de sa superficie dès 2025, et jusqu’à 70% d’ici 2100 (Banque mondiale, 2013a ; Van Gameren et al., 2014d). Si une élévation d’un mètre du niveau de la mer peut déjà entraîner un grand nombre de réfugiés climatiques et affecter principalement les pays en développement, la situation se corsera davantage avec une élévation de deux mètres du niveau marin. Alors que le commun des scientifiques pense que cette éventualité est destinée au siècle à venir, un groupe d’experts australiens a récemment démontré la possibilité d’atteindre 3m d’élévation du niveau marin avant la fin du XXIe siècle.
Depuis l’année 2020, une population de plus de 896 millions de personnes résidait dans des zones côtières de faible altitude. Selon le rapport du l’IPCC (2022a), l’augmentation du niveau de la mer conduirait au déplacement de plus d’un milliard de personnes d’ici 2050. Des pays tels que le Viêt-Nam, l’Égypte, le Bangladesh, la Guyane et les Bahamas seront confrontés à des inondations récurrentes touchant leurs zones les plus peuplées, ainsi qu’à la destruction de leurs terres agricoles par la salinisation, mettant en péril la biodiversité et la survie de nombreuses espèces animales et végétales. Cette situation entraînera inévitablement une intensification de la famine, de la pauvreté et la possible émergence de conflits violents à travers le monde. Les métropoles comme New York, Bombay, Calcutta, Hô Chi Minh-Ville, Shanghai, Miami, Lagos, Abidjan, Djakarta et Alexandrie, qui abritent des dizaines de millions d’habitants, seront gravement touchées. Ces populations seront contraintes de se déplacer vers l’intérieur de leur pays à la conquête de terres encore fermes intactes pour se réinstaller, causant toutefois la destruction des espaces agricoles, des réserves naturelles et des forêts qui contribueront à augmenter paradoxalement l’émission des GES. Par ailleurs, ces relocalisations engendreront des coûts économiques considérables, sans mentionner les perturbations sociales causées par ces déplacements massifs des populations depuis leur lieu de vie habituel vers d’autres régions.
Sans étendre davantage cette démonstration basée sur la corrélation entre l’élévation du niveau de la mer au cours du prochain siècle et l’accroissement inéluctable de la population mondiale, nous pouvons conclure que les terres habitables se raréfieront et viendront à manquer d’un siècle à l’autre. Après avoir occupé chaque parcelle habitable, l’humanité sera contrainte de cohabiter avec les eaux et les submersions marines. Bien entendu, il est encore techniquement possible de construire de hautes digues le long de nos côtes. Certains pays ont les ressources nécessaires pour faire face efficacement à la montée des eaux, mais d’autres ne le pourront probablement pas. Les Pays-Bas et les Émirats Arabes Unis renforcent déjà leurs littoraux à grands frais, en construisant des polders éphémères et des digues protectrices qui pourront peut-être tenir une ou deux décennies. Cependant, de tels moyens ne seront pas accessibles aux pays en développement, comme la plupart des pays africains. Il a été prouvé que le changement climatique affecte principalement les populations pauvres des zones urbaines, en particulier les habitants des quartiers informels, qui appartiennent souvent à des groupes sociaux défavorisés ou vulnérables tels que les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées (Fernini-Haffif, 2016).
Dans cette optique, ces solutions non pérennes ne pourront lutter et assurer une protection définitive face à la montée des eaux. De plus, il est inévitable de s’attendre à ce que les digues protectrices finissent par céder un jour ou l’autre, laissant l’eau tout emporter sur son passage avec une force décuplée. Ainsi, la montée des eaux engendre inévitablement un exode climatique irréversible qui, malgré ses énormes conséquences négatives, représente une solution temporaire et facile par rapport aux perspectives à long terme du développement durable. Il devient donc primordial pour le monde scientifique, même pour les esprits sceptiques des plus réticents, de passer dès aujourd’hui des stratégies réactives d’urgence aux stratégies urbaines proactives d’adaptation-transformation et d’anticipation durable face à la montée des eaux. En lieu et place de chercher à fuir ou à lutter contre la montée des eaux, il est nécessaire de chercher à vivre avec ou au-dessus. Ainsi, l’un des principaux défis du XXIe siècle consiste inévitablement à voir émerger de nouvelles villes durables sur les étendues d’eau. La recherche scientifique en planification urbaine, en étant à l’avant-garde des innovations urbaines, devrait donc accorder une importance primordiale à cet enjeu compte tenu de l’urgence climatique de ce siècle.